[OPE-L:5490] Toni Negri (french)

Gerald Levy (glevy@pratt.edu)
Fri, 19 Sep 1997 06:03:23 -0700 (PDT)

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Date: Fri, 19 Sep 1997 13:28:41 +0200
From: laurent@ecn.org
To: aut-op-sy@jefferson.village.Virginia.EDU

APPEL
Liberté pour Toni NEGRI
Pour en finir avec les années de plomb en Italie !

Toni Negri est en prison à Rome depuis le 1° juillet 1997. Condamné
de façon définitive à plus de 13 ans de prison, sans compter un dernier
verdict en attente de cassation, il risque de voir sa détention se
prolonger encore longtemps. Exilé en France depuis 1983, il est rentré de
son plein gré en Italie avec la volonté de contribuer, par ce geste, à la
résolution du problème des exilés et des détenus poursuivis ou condamnés
pour des faits survenus au cours des " années de plomb ". Il demeure
environ 180 personnes détenues dans les prisons italiennes à ce titre;
quant aux exilés en France, il en reste environ 150.
Professeur à l'Université de Padoue et philosophe mondialement connu,
Toni Negri avait été incarcéré le 7 avril 1979; il était accusé "
d'insurrection armée contre les pouvoirs de l'Etat " et pour donner corps à
cette accusation énorme, il était présenté comme le véritable chef occulte
des Brigades Rouges qui avaient enlevé et assassiné Aldo Moro, Président de
la Démocratie Chrétienne. Negri a toujours nié cette accusation absurde
dont a été au reste formellement acquitté. Son inculpation a été plusieurs
fois modifiée. Après quatre ans et demi de prison préventive, il fut
présenté par le Parti Radical comme député, et le suffrage universel le
sortit de la prison. Lorsque la Chambre des Députés vota la levée de son
immunité parlementaire à une courte majorité, il se réfugia en France. Les
procédures engagées contre lui sous de multiples incriminations dans
plusieurs procès aboutirent à sa condamnation, notamment à Rome sur la
base des déclarations d'un " repenti " qui fut expédié en Amérique Latine
dès l'ouverture du procès. Amnesty International avait dénoncé à l'époque
les graves irrégularités juridiques qui avaient marqué son procès et celui
de ses collègues de l'Université de Padoue. Durant son exil, Toni Negri a
travaillé en France comme enseignant à l'Université de Paris VIII, au
Collège International de Philosophie et comme chercheur en sciences
sociales. Il y a publié de nombreux ouvrages.
Du fait de sa notoriété, Negri est devenu la figure emblématique de
l'extrême-gauche italienne des années soixante-dix. A partir de l'automne
chaud en 1969, s'était ouverte en Italie une période de conflits sociaux
exacerbés marquée par le rôle très ambigu de certains services de l'Etat
dans ce qu'on a appelé la " stratégie de la tension ", c'est-à-dire la
manipulation de groupes néo-fascistes responsables des massacres de Piazza
Fontana et de l'attentat particulièrement meurtrier de la gare de Bologne.
La radicalisation de la gauche extra-parlementaire et du mouvement social a
conduit une frange importante de militants sur les chemins d'une violence
diffuse et pour quelques uns de la lutte armée. Entre 1976 et 1980, des
dizaines de milliers d'entre eux ont été poursuivis et plus de cinq mille
personnes arrêtées. Des centaines de condamnations très lourdes ont été
prononcées sur la base de plusieurs lois d'exception toujours en vigueur,
dont principalement la loi dite des " repentis ". Elle fait des
déclarations des " repentis " la base suffisante pour condamner ceux qu'ils
impliquent et autorise la mise en liberté de condamnés pour crimes de sang
et diverses mesures de " reclassement " par l'Etat pour prix de la
délation. Autre loi d'exception : la durée de détention préventive a été
portée, de manière rétroactive, à douze ans. Cette législation est
radicalement incompatible avec les principes de l'Etat de droit et les
règles minimales en matière de procédure pénale, telles qu'elles sont
définies par les articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de
l'homme et protégées par la Cour européenne des droits de l'homme. On peut
estimer que c'est en raison du caractère éminemment contestable de cette
législation que les démocraties voisines ont nourri de sérieuses réserves
au point que le Royaume-Uni et la France n'ont pas donné suite, à de très
rares exceptions près, à plus de soixante-dix demandes d'extradition
présentées par les autorités italiennes, quelle que soit la majorité
politique au pouvoir. Pour la même raison sans doute, les quelques cinq
cents réfugiés accueillis en France au cours de ces années n'ont jamais été
inquiétés. Insérés dans la société française par leur vie familiale, leur
travail, ces réfugiés n'entendent pas compromettre leur avenir et la vie
qu'ils se sont construite pour purger des condamnations vieilles d'un quart
de siècle et prononcées dans les conditions que l'on sait.

L'objet du présent appel ne peut en aucune façon être interprété
comme une manière de cautionner rétrospectivement le comportement réel ou
supposé, mais imputé aux personnes poursuivies ou condamnées pour des
faits datant de ces années de plomb. Au demeurant l'attitude et les
déclarations des réfugiés ou des personnes condamnées en Italie sont sans
ambiguïté. Selon leur propres déclarations, la " guerre " est finie. " Il
s'agit d'une histoire terminée ". Une démocratie digne de ce nom doit
savoir tourner la page. Or, entre les exilés, les détenus, les personnes en
semi-liberté, quatre cent personnes demeurent exclues de la vie civile. Un
problème de cette dimension ne saurait être réglé convenablement au cas par
cas. C'est pourquoi dans l'attente d'une vraie solution en Italie qui n'a
que trop tardé, les réfugiés doivent voir leur situation régularisées dans
leur pays d'asile.

Un projet d'indulto (remise de peine votée par le parlement)
déposé depuis neuf ans, n'est toujours pas voté. Sans être négligeable,
un tel projet ne résoudrait pas le problème des réfugiés. La seule
solution pour Toni Negri et ses compagnons d'infortune, c'est une loi
d'amnistie. Or, la seule amnistie votée en Italie le fut en 1946, à
l'initiative de Togliatti et elle concernait les fascistes. En revanche,
pour des faits liés à la guerre d'Algérie et d'une gravité au moins
équivalente à ceux des années soixante-dix en Italie, la France a accordé
l'amnistie aux insoumis, aux " porteurs de valise " mais aussi aux membres
de l'OAS.
Attachés aux principes de l'Etat de droit et au rétablissement des
droits de l'homme partout et pour tous ceux qui en ont été privés, à
l'heure où l'Italie intègre l'Europe de Schengen, nous demandons instamment
aux parlementaires italiens de répondre favorablement à cet appel à la
clémence en adoptant une loi d'amnistie dans les plus brefs délais. Nous
invitons également tous les parlementaires de l'Union européenne à
effectuer les démarches appropriées auprès des autorités italiennes
compétentes pour accélérer la remise en liberté de Toni Negri. S'il a
symbolisé une époque, sa liberté en symboliserait une autre, plus heureuse
et apaisée. Enfin, en abrogeant un arsenal de lois d'exception
incompatibles avec la Convention Européenne des droits de l'homme, l'Italie
honorerait son ancrage résolu dans l'Europe.

Pétition associée au texte de l'appel

Après en avoir pris connaissance, nous nous associons à l'appel en faveur
de la mise en liberté de Toni Negri, pour en finir avec les années de
plomb en Italie .

Toni Negri était en France depuis 14 ans. Il s'y était réfugié en
1983, après quatre ans et demi de prison préventive. Il est retourné
volontairement en Italie où il a été condamné à des peines de prison pour
des raisons éminemment politiques à partir d'un arsenal de lois d'exception
(lois des repentis, détention préventive de 12 ans) qui sont incompatibles
avec la Convention européenne des droits de l'homme.
Il est en prison depuis le premier juillet 1997 et sa mise en
liberté (ne serait-ce qu'une semi-liberté) n'est toujours pas intervenue.
Quatre cent personnes sont encore exclues de la vie civile en
Italie pour des incriminations politiques qui remontent à près de 20 ans.
Plus de 150 réfugiés italiens en France ne veulent pas détruire leur
insertion pour purger des peines prononcées à partir de lois d'exceptionLes autorités européennes de droite ou de gauche, ne les ont pas extradés.
C'est dire ce qu'elles pensent sotto voce de cette législation.
La violence diffuse des luttes sociales sur laquelle s'est greffé
le "terrorisme" italien est une affaire terminée depuis longtemps. Quelle
démocratie peut prétendre appliquer à l'encontre de condamnés politiques,
une législation plus sévère que pour les détenus de droit commun, vingt ans
après les faits incriminés ?
La mise en liberté de Toni Negri doit ouvrir enfin la voie d'une
amnistie qui n'a que trop tardé. Seule l'abrogation de lois d'exception et
le vote d'une loi par le parlement italien en finiraient vraiment avec les
" années de plomb ". Tant que ces conditions ne sont pas réunies nous
souhaitons aussi que les pays de l'Union Européenne garantissent le séjour
des exilés italiens. Nous demandons enfin aux parlementaires des autres
pays de l'Union et à ceux de l'Assemblée de Strasbourg d'effectuer toutes
les démarches allant dans ce sens.
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Nom Fonction ou titre Adresses Tel. fax. ou e-mail
Signature
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Parmi les premiers signataires de cet appel:

E. Balibar (philosophe), J.L. Benhamias (Secrétaire général des Verts),
O.Bétourné (Editions Fayard), Ch.Bourgois (éditeur), P.A. Boutang
(producteur-réalisateur), R. de Ceccatty (écrivain), G. Châtelet
(mathématicien), M. Chemillier-Gendreau (juriste), R.Debray (écrivain), C.
Dolto-Tolitch (médecin), V.Forrester (écrivain), S. Gisselbrecht
(Inserm),G. Kejman (avocat), A.Lipietz (économiste), B. Marger (Cité de la
Musique), J.F. Masson, (médecin), F. Matta (artiste), G.Perault,
(écrivain), M.Plon (psychanalyste), A. Querrien (urbaniste), J. Rancière
(philosophe), E.Roudinesco (écrivain), S. Silberman (producteur), Ph.
Sollers (écrivain), G. Soulier (juriste), I. Stengers (philosophe).
Le Comité de rédaction de la Revue Futur Antérieur

Signatures à adresser à Yann Moulier Boutang fax: 01 45 41 53 91 ou
E-mail: <Yann.M.Boutang@wanadoo.fr>